Les non-dits sur le conflit dans les Kivus

Des mouvements de populations, des pillages, des tueries, des viols. Les mêmes scènes, caractéristiques du conflit dans les deux Kivus, se reproduisent telle une spirale vicieuse. Le dernier rebondissement est la prise de la ville de Goma par les rebelles du M23, le 20 novembre dernier. Un grand tournant dans cette croisade contre le gouvernement de Kinshasa, lancée depuis le mois d’avril par la rébellion.

 

L’heure est aux pourparlers entre les belligérants au conflit. Une solution négociée s’impose. Les armes se taisent. Les condamnations fusent de partout. Un cessez-le-feu et les ultimatums sont lancés. L’histoire se répète à des différences près à l’est de la République démocratique du Congo depuis la fin officielle de la guerre en 2003.

 

Les ressources minières et le Rwanda

Pour expliquer ce cycle des conflits dans la partie orientale de la République démocratique du Congo, des rapports des ONG internationales  et de panels d’experts des Nations Unies ont démontré l’implication des pays voisins de la région, notamment le Rwanda, dans la région. Ces publications impliquent aussi des hommes d’affaires et des multinationales. Ces dénonciations ont alors canalisé la recherche de la paix hors des frontières nationales, à l’international.

 

Certes, l’exploitation des ressources minières est un des éléments de tension dans les deux Kivus mais elle ne devrait pas occulter les sources internes du conflit comme l’irresponsabilité politique et les luttes politiques. Mais pourquoi cette région, jadis célèbre pour ses paysages et ses gorilles de montagne, bascule à nouveau dans une phase de violences qui durent depuis près de vingt ans ?

 

Clivage au sein de la classe politique dès 1990

Il faut se souvenir de l'histoire récente de la région, au début des années 1990. A cette époque, le vent du changement souffle sur le continent africain. Des révolutions sont menées ici et là. En RDCongo le contexte politique est particulier. Un clivage générationnel sévit dans la classe politique. Un conflit latent.

 

Les vieux politiciens - vieille génération - , celle des années 1960, s’accrochent encore au pouvoir et trônent sur les grands partis politiques. Les jeunes, eux, sont regroupés au sein de la « nouvelle génération politique ». Ils gravitent autour des « vieux » ou évoluent carrément en marge de ces derniers au sein des partis politiques autonomes. Ils sont convaincus, malgré tout, d’incarner le renouveau.

 

Le catalyseur du cycle des conflits

Pendant cette période, le concept de la géopolitique est en vogue au sein de la classe politique.  L’idée consiste à placer les originaires – autochtones - à la tête des provinces. Les promoteurs de ce concept le présente comme un remède aux maux qui rongent la vie nationale. Une sorte du fédéralisme à la congolaise. Des sentiments ethniques, claniques et régionalistes sont en éveil.  C’est dans ce climat que la conférence nationale souveraine (CNS) est convoquée.

 

Pendant une année et demi, les délégués représentant toutes les couches de la population, toutes les régions et la diaspora de l’ex-Zaïre sont réunis à Kinshasa. L’objectif est la prise de conscience, la mise en place des réformes démocratiques.  Les retombés de ces assises seront malheureusement le catalyseur du cycle des conflits.

 

Dissensions entre ethnies au Nord-Kivu

Pendant les travaux de la CNS - juillet 1991à décembre 1992 -, le contrôle de la terre constitue un enjeu majeur. Tous les groupes ethniques luttent pour avoir une mainmise sur un espace politique, économique et social. Cette bataille politique se matérialise dans la région multiethnique des Kivus. Au Nord-Kivu, l’ethnie Hutu dispose d’une organisation politique d’envergure, la Mutuelle Agricole de Virunga (Magrivi). 

 

Les Hunde, Nyanga, Tembo, Tutsi et Nande se voient menacés. Les Nandes sont enthousiastes et misent sur leur majorité pour gagner les élections provinciales envisagées par la CNS. Ils sont favorisés par le Maréchal Mobutu qui ne souhaite pas perdre son influence sur la province du Nord-Kivu. Il y place ses hommes sûrs : Enoch Nyamwisi Muvingi et Jean-Pierre Kalumbo Mbogho, deux Nande de la mouvance présidentielle.

 

Les autres groupes sont moins enchantés par la donne. Ils craignent de perdre les élections tant entendues. La notion de la « nationalité douteuse » est évoquée pour la première fois. En 1993, des affrontements entre milices ethniques sont signalés dans la province, à Ntoto dans le territoire de Walikale et à Masisi.  La situation est tendue. C’est la guerre dite de Masisi.

 

Le génocide Rwandais et les ramifications régionales
Avril 1994. Le Rwanda bascule dans l'horreur. Le pouvoir, majoritairement hutu, entame un génocide contre les Tutsis et les Hutus modérés. Le Front patriotique rwandais (FPR) organise la riposte et prend Kigali. Plus d’un million de Rwandais, en majorité Hutu, traversent la frontière congolaise. Les génocidaires aussi. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), des militants Hutu opposés au pouvoir de Kigali, entretiennent une guerre de faible intensité avec l'armée rwandaise et les Banyamulenge - les Tutsis congolais des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu- .


Le général Paul Kagame décide d’en finir avec ce qu’il considère désormais une menace pour Rwanda en poursuivant les ex-génocidaire en RDC. C’est l’exportation du conflit rwandais au Zaïre.

 

Première guerre du Congo

Octobre 1996. Les Rwandais prennent pied sur le sol congolais, en compagnie de Laurent-Désiré Kabila, opposant au Maréchal Mobutu, dictateur qui règne sur le Zaïre. L’alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) est créée.  Laurent Désiré Kabila profite de l'aide rwandaise pour conquérir le pouvoir à Kinshasa. Le Zaïre devient la République démocratique du Congo.

 

Là, une fois le pouvoir aux mains du père de l'actuel président de la RDCongo, les Rwandais ne veulent pas partir. La RDC entre alors en guerre avec le Rwanda, tandis que le pays se déchire entre les différentes rébellions soutenues par des pays voisins comme l’Ouganda qui veulent profiter des fabuleuses richesses minières du pays. L’Angola, le Zimbabwe, la Namibie et le Tchad viennent au secours de la RDCongo. C’est le début de «la première guerre mondiale africaine».

 

Deuxième guerre du Congo

Août 1998. Le Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD), mouvement politico-militaire soutenu par le Rwanda et l’Ouganda est créée à Goma. Les troupes combattantes sont composées en majorité par les Tutsis. L’objectif ? Renverser le nouveau pouvoir établi à Kinshasa. Des anciens partisans de Mobutu rejoignent la nouvelle rébellion. L’offensive est lancée.

 

Une année plus tard. Les troupes au front n’avancent plus. C’est clair, Kabila ne sera pas renversé. Du moins pas par les armes. Des dissensions au sein de la rébellion voient le jour. Le Rwanda et l’Ouganda se disputent le contrôle du RCD et des ressources minières exploitées illégalement. C’est le schisme. Wamba dia Wamba, un des leaders du mouvement quitte l’est et s’établit à Kisangani avec l’appui de l’Ouganda. Le désaccord entre ces pays étrangers se manifeste en juin 2000, lors de la guerre de six jours à Kisangani. Les armées ougandaises et rwandaises s’affrontent sur le territoire congolais du 5 au 10 juin. 

 

Fin de la guerre et retour à la case de départ

Octobre 2001. Le dialogue intercongolais est convoqué. Il rassemble à Addis-Abeba les délégués représentant le gouvernement congolais, les rébellions, l'opposition politique et la société civile avec pour objectif de régler de mettre fin au conflit. Interrompu à plusieurs reprises, il mènera à la signature de l' « accord global et inclusif de Pretoria » entre tous les belligérants au conflit, le 2 avril 2003.


Théoriquement, la RDC n'est plus en guerre contre ses voisins. Dans les montagnes des Kivus, les troupes rwandaises n'ont pas attrapé tous les génocidaires cachés dans la brousse. Les Force démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) continuent de semer la terreur sur le sol congolais. La nouvelle armée [unifiée] congolaise essaie sans grand succès de les combattre. Elle-même se rend coupable de nombreuses exactions, souvent attribuées aux FDLR.


La communauté Tutsi du Congo crie à la discrimination. Quelques officiers tutsis s’insurgent contre l’armée. Ils prétendent protéger les leurs. Tour à tour, Jules Mutebusi, Laurent Nkunda avec le CNDP, Bosco Ntaganda, prennent les armes contre les forces armées de la RDCongo. A chaque fois, le Rwanda est accusé d’appuyer les insurrections. Et depuis avril 2012, c’est au tour du mouvement du 23 mars 2009 (M23), en référence aux accords signés avec le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP).

 

Copyright Photo: Goran Tomasevic/Reuters

 

Yves Zihindula

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