En Guinée, les blogueurs veulent changer la manière de faire la politique

CARLOS BAJO ERRO est un journaliste qui traite de l’Afrique, en particulier des questions relatives à l’évolution des nouvelles technologies en Afrique pour le quotidien espagnol elpais.com. Ce quotidien espagnol est l’un des journaux ayant la plus grande diffusion d’Europe, avec environ 2 000 000 de lecteurs par jour. Son tirage est supérieur à tous les journaux français.
Javier Moreno, son ancien directeur de la rédaction de 2006 à 2014, dirige le projet Leading European Newspaper Alliance (LENA), une alliance de 7 des principaux quotidiens européens: Die Welten (Allemagne), La Repubblica (Italie), Le Figaro (France), Le Soir (Belgique), Tages-Anzeiger et La Tribune de Genève (Suisse). 
Le journaliste CARLOS BAJO ERRO a interviewé Fodé Kouyaté Sanikayi, Président de l’Association des blogueurs de Guinée (ablogui).
Voici ma traduction en français de l’article paru en espagnol le 20 aout 2015 sous le titre « En Guinea, los blogueros quieren cambiar la política« .
Espérons que l’interview de Kouyah Kouyate incitera d’autres médias internationaux à s’intéresser à nous.
  L’association de blogueurs Guinée Conakry, Ablogui veut changer la manière de faire la politique. Les activistes poussent les candidats à modifier leur messages.
Il y a quatre ans, les blogueurs actifs en Guinée Conakry se comptaient sur les doigts d’une seule main. Aujourd’hui, 80 d’entre eux font partie de la plate-forme Ablogui, l’association des blogueurs du pays. En outre, non seulement ils se sont regroupés, mais aussi ils se sont fixés un objectif fondamental: participer aux élections présidentielles prévues pour Octobre. Ils veulent que leur participation soit en lettres majuscules. Pas en faveur d’un candidat ou l’autre, mais en réformant le discours politique, poussant les candidats à mettre de côté les mots qui réveillent des sentiments moins rationnels en les forçant à parler de leurs programmes.
Fodé Kouyaté Sanikayi est un habitué de l’univers numérique en Afrique de l’Ouest. Connecté avec des utilisateurs de Twitter et les blogueurs d’autres pays, il est fréquent de voir ce guinéen participer à des campagnes et à des initiatives qui se passent sur les réseaux à l’ouest du continent. Il est le président de Ablogui et l’un des initiateurs les plus convaincus du projet GuineeVote, qui est sur ​​le point de lancer officiellement la première phase de sa stratégie, selon les informations des promoteurs de la plate-forme. Les principaux objectifs de cette initiative sont de surveiller le déroulement de l’élection présidentielle qui, à moins de changements de la dernière minute, devrait avoir lieu en Octobre; collaborer pour que ces élections soient transparentes et oeuvrer, pendant la campagne, pour que le discours politique soit axé sur les mesures que chaque candidat propose plutôt que sur des questions sentimentales comme l’origine ethnique.
#GuinéeVote est une plateforme Web participative autour des élections en #Guinée. Rejoignez le projet citoyen porté par @ablogui
— GuinéeVote (@GuineeVote) agosto 2, 2015
Selon le président d’Ablogui, l’initiative @GuineeVote aspire à être « une plate-forme participative pour une surveillance citoyenne des élections, qui ne se limitera pas seulement au vote, mais continuera  après pour vérifier que les engagements soient tenus ».
« Nous sommes habitués à des discours politiques subjectifs », explique Kouyaté, « loin d’être les préoccupations des citoyens. En fin de compte, on ne vote pas des programmes, mais plutôt des personnes. Les partis ont été incapables de faire une divulgation adéquate de leurs programmes, ils ne savent pas mobiliser les citoyens autour de leurs objectifs de sorte qu’il est plus facile de jouer la carte du communautarisme, celle de l’appartenance ethnique. Voilà les raisons de notre l’initiative de changer le discours politique. Des discours simplistes et bon marché qui font appel aux différences ethniques, en aggravant les antagonismes, qui conduisent souvent aux tensions et même à la violence, nous voulons une comparaison des contenus des programmes proposés, forçant les politiciens à être plus constructifs en essayant de convaincre leurs électeurs dans l’exercice cohérent du pouvoir.
Les partisans de l’initiative ont essayé d’entrer en contact avec les partis politiques au cours des dernières semaines, bien que les candidatures ne soient pas encore définitivement validées. La plateforme GuineeVote accueillera les programmes de tous les candidats et utilisera l’application voxe.org pour les comparer, une application qui a été utilisée dans d’autres élections en Europe et aux Etats-Unis, essentiellement. « Si un parti ne nous envoie pas son programme, son profil sera présenté mais sera vide, il paraitra ainsi comme n’ayant pas de programme. Ce sont eux qui ont intérêt à voir si ça les intéresse », dit Kouyaté.

Les réseaux sociaux peuvent également présenter des risques
Les blogueurs ont assumé cette responsabilité pour prévenir les tensions sociales que peuvent générer des élections présidentielles. « La question ethnique est présente en Guinée », a déclaré le représentant de Ablogui, « c’est indéniable. En outre, les médias contribuent souvent à cette tension. Discuter des programmes est une façon de réduire les tensions, de calmer les âmes. «  Fodé Kouyaté Sanikayi explique que cette prise de responsabilité est également une nécessité: « Lors des élections de 2010, beaucoup d’informations avaient été répandues dans le but de créer une tension, de conduire à la confrontation et à éviter d’autres débats. Malheureusement, il n’y avait pas suffisamment d’accès à Internet, à cette époque. Mais maintenant, il y a une éclosion de son utilisation et nous ne pouvons pas risquer que de telles informations soient répandues sans réactions pour les démentir ».
Dans la perspective de la présidentielle, les cyber-activistes ont décidé de faire le contrepoids aux médias traditionnels à travers l’usage des blogs, des réseaux sociaux et leurs propres plate-formes. « Nous nous sommes engagés », a déclaré M. Kouyaté, « nous n’avons aucun intérêt partisan et comme citoyens nous sommes les premiers à être intéressés que les élections soient transparentes et pacifiques. Nous pouvons offrir la neutralité nécessaire « . Et pour cela les blogueurs comptent sur le facteur numérique, explique leur président: « Dans les médias traditionnels, il suffit de corrompre tout simplement le propriétaire pour que le média adopte une approche partisane. Dans notre cas, ils auraient à soudoyer des centaines, voire des milliers de personnes, mais évidemment cela est plus compliqué « .

Les élections pourraient être tendues Fode Sanikayi Kouyate, Président ABLOGUIInterrogé sur le climat prévu des élections, Fodé Kouyaté Sanikayi répond fermement: « Il pourrait y avoir des tensions, parce que les politiciens sont intéressés à porter l’attention sur les questions qui créent cette tension, le communautarisme. En outre, certains observateurs soutiennent que la CENI (commission indépendante chargée d’organiser les élections) est techniquement très limitée. Et il y a une crise de confiance, aussi bien entre les hommes politiques que de la part des citoyens envers les responsables politiques ».
En plus de changer le discours dans le débat et le débat sur les programmes proposés par chaque candidat, Ablogui a un autre but: faire participer vraiment les citoyens dans ce processus. « Nous devons faire prendre conscience qu’on ne peut pas se laisser emporter par les discours ethniques, mais que les citoyens ont aussi à jouer un rôle de premier plan dans les élections. » Le président de l’organisation des blogueurs s’attend à ce que les citoyens participent à la surveillance des élections. « Mettre son bulletin dans l’urne n’est pas suffisant. Il faut attendre jusqu’à ce que le dépouillement finisse dans son bureau électoral et que des résultats cohérents avec ce qu’on a vu soient rendus publics. on saura ainsi que son vote a été entendu, sinon, on pourra dénoncer les irrégularités qui auront eu lieu « , dit Kouyaté, pour expliquer le rôle de ceux qu’ils appellent les e-Observateurs.
Dans les plans de l’association, ces e-Observateurs seront distribués dans les 33 préfectures du pays. « L’accès au numérique n’est pas le même à Conakry (la capitale) que dans les zones rurales, de sorte que nous devons donner des séances de formation aux citoyens intéressés », a déclaré M. Kouyaté. Bien que le président reconnaisse qu’à cet effet, il aura besoin de chercher des alliances et surtout une indépendance financière.

Les blogueurs guinéens s’inspirent des expériences antérieures pour cette initiative. Surtout, de l’utilisation des réseaux sociaux pendant les élections présidentielles sénégalaises en 2012, une communauté avec laquelle ils ont des liens étroits. Ils s’inspirent, comme le reconnait Kouyaté, de la plate-forme SUNU2012 que les blogueurs de ce pays avaient lancé à cette occasion, mais ils y ont ajouté de nouveaux outils qui n’étaient pas disponibles alors et ils ont « guinéanisé » l’expérience.
Ainsi, les objectifs de l’initiative sont d’encourager la discussion, assurer la transparence des élections et mobiliser, sensibiliser les citoyens au sujet de leur responsabilité. Pour ce faire, ils essaient d’agir pendant la campagne, mais aussi après la journée électorale et même pendant le décompte des voix, mettant les médias sociaux au service du public afin d’avoir des élections pacifiques, transparentes et participatives.

Traduction KonakryExpress
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