Baleines et pétrodollars, à quoi ressemblent trois mois en Alaska



Pendant trois mois, ils ont attendu la baleine tels des chasseurs inupiats. La journaliste Zoé Lamazou et le dessinateur Victor Gurrey se sont immergés aux confins de l’Arctique durant toute une saison de chasse. De Kaktovic à Point Hope, en passant par Prudhoe Bay, ils ont vécu au rythme de l’extrême nord l’Alaska, aux côtés d’une population singulière et méconnue qui voit son habitat se métamorphoser à mesure que les gouvernements et autres décideurs poursuivent leurs politiques consuméristes et excessives.

Dans ces zones hostiles où cohabitent inupiats et exploitants pétroliers expatriés, tous s’accordent à dire que la banquise recule, que la texture des glaces change un peu plus chaque année. “Ces populations sont au bout de la chaîne de la logique capitaliste. Elles voient mieux que personne toutes les aberrations de notre société et regardent les catastrophes arriver en face”, explique Victor Gurrey. Et Zoé Lamazou de poursuivre : “Le réchauffement climatique ouvre littéralement la voie à l’exploitation de certaines zones de l’Arctique qui étaient encore vierges car inaccessibles, il y a peu.”

Même si de nombreux puits et un gigantesque oléoduc Trans-Alaska construit depuis les années 1970 jalonnent déjà ce vaste État américain, les compagnies pétrolières ont bien compris que l’avenir des gisements se trouvait dans les fonds marins et notamment en mer des Tchouktches et en mer de Beaufort. Dans l’optique d’exploiter ce nouvel eldorado pétrolier, les côtes d’Alaska se muent petit à petit en base arrière pour les opérations de prospection et donc bientôt de forages.

Des chasseurs qui n’ont rien à voir avec les baleiniers japonais



Au milieu de ces chercheurs d’or noir, les Inupiat, eux, conservent leurs traditions et leur mode de vie basé sur la chasse à la baleine. “Il s’agit d’une chasse traditionnelle qui n’a rien à avoir avec celle des baleiniers japonais tant décriés”, précise Zoé Lamazou. “Dans le village de Point Hope, sur les 800 habitants, 14 équipages ont été constitués. Pour la plupart, ils chassent à bord de bateaux en peaux et en bois, et à la pagaie. C’est impressionnant”, confie-t-elle. L’année dernière, selon la journaliste, seules cinq baleines ont été capturées. La Commission baleinière internationale - qui fixe et réévalue les quotas annuels - avait autorisé jusqu’à 10 baleines, attrapées ou blessées. Avant d’être dégusté, chaque cétacé est honoré par la communauté et fait l’objet de célébrations hautes en couleurs. Puis ses os, ses fanons, ses tissus - rien n’est jeté - serviront pour des constructions variées, des tambours ou même pour des pierres tombales…

Mais ce mode de vie ancestrale et proche de la nature ne saurait, toutefois, empêcher les populations inupiat d’apprécier les pétrodollars. Et même d’en (sur)vivre ! “Il ne faut pas croire que les Inupiat sont de simples eskimos dans un igloo. C’est une population très résiliente, qui possède une identité forte mais dont une partie trouve aussi son intérêt dans l’industrie du pétrole”, assure Zoé Lamazou. Victor Gurrey parle aussi d’une “société profondément marquée par des décennies de colonisations américaine, longtemps rongée par l’alcoolisme, confrontée au chômage et qui vit notamment des apports de cash par les société exploitantes et de quelques subventions de l’État. La découverte du pétrole en Alaska a fait de certains Inupiat des actionnaires, ou des rentiers plutôt de que  que des citoyens.”

Bien loin de l’image manichéenne - où le gentil eskimo est passé au rouleau-compresseur des méchants industriels -, Zoé Lamazou et Victor Gurrey ont même rencontré, parmi les chercheurs d’or noir, un véritable amoureux de la planète. Alors plutôt que de s’attaquer de front à l’aspect écologique de la fonte des glaces et du pétrole en Alaska, les deux Français ont mis l’accent durant leur périple sur la dimension humaine. Il en ressort un magnifique livre illustré intitulé “Une saison de chasse en Alaska”, à la croisée de l’enquête journalistique et du carnet de voyage ; et bientôt un webdocumentaire aux premières images déjà époustouflantes.



> Une saison de chasse en Alaska, éd. Paulsen, 304 pages, 29 euros
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