INTERVIEW FRENCH CONNECTION # 2 : DéBRUIT // BoOGiE WORLDWIDE

 

Un dernier disque, "Sis Sürpriz", qui poursuit l'exploration des folklores turques sauce beats/hip-hop. Des collaborations avec un futur de l’électro-pop anglaise, Jamie Woon. Un groupe live.

Après un an à Londres, le producteur DéBruit est de retour à Paris.

 

Ca tombe bien, il fait très beau.

Et pour parler, une terrasse de café il y a que ça de vrai.

 

 

 

 

 

 

NR // …. Ca vient d’où ton nom DéBruit ? ...

 

C’est un jeux de mots entre « débris » et « bruit »..

 

« débris ? »

 

Comme des débris de verre… du bruit aussi … en fait à la base je faisais de la musique expérimentale, pas forcément très facile d’accès, et donc j’avais choisi ce nom à l’époque, que j’ai gardé…

 

C’est marrant, je pensais que t’étais d’origine étrangère..

 

Ah bon ?

 

Oui. D’abord parce que ta musique tourne autour des folklores africains et orientaux, mais aussi parce que moi mon père quand je mettais la musique trop fort il me disait « arrête de faire dé bruit »…

 

Hahaha …

 

… ouaip…

 

C’est drôle. A propos de mon nom, tout le monde arrive avec des angles auxquels j’ai jamais pensé…

 

extrait :
DéBruit, Mezdé (Sis Surprise, Civil Music, 2011)

 

 

 

 

 

C’est surprenant que tu viennes de la scène expérimentale, parce que justement, ta musique est très « écoutable ». Une certaine facilité d’accès qu’on n’a pas forcément dans cette scène beats (électro hip-hop)

 

J’évolue je crois… cela dit, faire de la musique pas écoutable c’est beaucoup plus facile que de faire un vrai tube intéressant…

 

Pourquoi ?

 

Parce que n’importe qui peut être bizarre en faisant des trucs bizarres. Je te fais un double-album de trucs bizarres là cet après-midi si tu veux… tu branches tout, tu fais du bruit, tu balances quelques rythmiques (ou pas), et c’est fait. Ce que j’essaie de faire moi, c’est une musique qui surprend les gens certes, mais avec laquelle ils puissent connecter, même sans savoir pourquoi. Par exemple, ça m’arrive souvent de jouer devant un public ou il n’y a que 10% des gens qui me connaissent. Souvent, les autres viennent me voir en me disant que ça leur plaît, et ils finissent toujours par « mais c’est quoi comme musique ? »… bon, sur ça je sais pas trop quoi leur dire, mais voilà…

 

Je te dis ça parce que quand j’envoie tes sons devant un public, ça marche

 

C’est cool ! C’est le principe. Je ne fais pas de la musique pour … enfin j’essaie d’avoir des idées mais plus dans une notion de fun que dans une notion intellectuelle. J’ai pas de prétentions intellectuelles et c’est pas ce que j’ai envie de véhiculer par la musique. Peut être que c’est ça qui fait que les gens comprennent qu’il y a un côté derrière un peu marrant. Marrant c’est pas le mot mais voilà un côté un peu fun… on connecte plus facilement les gens avec une musique fun qu’avec un truc sombre ou trop cérébral.

 

extrait :
DéBruit, Persian Funk (Spatio-Temporel, Civil Music, 2009)

 

 

 

 

 

.... Pourquoi / comment t’as fais de la musique ?

 

J’ai fait l’école de musique quand j’étais petit. Mon grand père était musicien dans des orchestres de bal (je viens de Bretagne à la base). A neuf ans j’ai commencé par le saxophone, son saxophone d’ailleurs. A partir d’un moment l’école de musique ne m’intéressait plus. C’était très classique, assez fermé en fait. Donc j’ai arrêté. J’ai commencé à apprendre des instruments par moi-même, j’ai monté un petit groupe. Puis j’ai commencé à m’enregistrer et me réenregistrer par-dessus en jouant tous les instruments seul, à retoucher le tout, et de là je suis passé à la production pure et simple. J’utilise un ordinateur avec un logiciel, Logic, que j’utilise n’importe comment d’ailleurs puisque là aussi j’ai appris à l’utiliser tout seul. Mais ça marche, et c’est ça qui compte..

 

Tes disques sonnent de manière assez épurée, comme un groupe … il y a la basse (un style que j’appelle dans mon coin « aquabass »), il y a les voix, une mélodie, bref, tout est identifiable...

 

J’ai d’abord appris à composer en formule groupe, donc je suis plutôt un producteur dans ce sens là que beatmaker. Le beatmaking c’est une part de ce que je fais et encore moi je ne sample pas tant que ça, ou alors un kick de batterie que j’aime bien. J’ai tendance à tout jouer.

 

Un peu comme quelqu’un qui pourrait composer un album pour je ne sais quelle chanteuse ou chanteur…

 

Ça m’intéresse à fond ! Pour l’instant je me concentre sur mon album, mais oui, évidemment…

 

Paraît que tes lives sont fous

 

Hahaha… c’est pas à moi de le dire ça … en ce moment j’ai deux formules, mon live solo avec les machines, et puis le groupe ! Dans cette formule on joue aussi sur le coté visuel. On est habillés en djellabah blanches, et le tissus fait office d’écran . et tous les visuels sont synchronisés avec la rythmique, et on est trois avec des instruments un peu spéciaux….

 

extrait :
DéBruit, Mezdé (version groupe/live)

 

 

 

 

extrait # 2:
DéBruit, Nigeria What ? (Spatio-Temporel, Civil Music, 2009)

 

 

 

 

... Pourquoi / comment t’es passé d’une esthétique plutôt funk – west coast à une esthétique qui serait une adaptation très moderne des folklores west – africains et orientaux ?

 

L’histoire c’est qu’à Londres j’habitais dans un quartier turc. Je voyais des gens, des enfants souvent, passer avec des housses d’instruments turcs… j’étais juste curieux de leur univers … enfin, c’est le quartier ou je vis donc ça m'influence forcément... J’ai commencé à faire des recherches sur cette musique, à dénicher des disques, je me suis immergé dedans. Parfois j'ai trouvé des trucs un peu orchestraux, parfois t’as des trucs très psychédéliques, des années 70, très funky.... donc voilà, j’ai écouté beaucoup de musique, j’ai pris des petits bouts qui m’intéressaient, et j’ai fini par composer des trucs influencés par tout ça.

 

Pourtant ont dirait que t'as toujours écouté de la musique orientale, et que tu t’est juste dit « il manque ça, ça, ça, »

 

… je pense qu’il y a l’excitation de découvrir une musique. Et comme je m’y suis mis à travailler sur le moment l’inspiration est restée fraiche. J’avais déjà entendu de la musique orientale (en tout cas au moins ses clichés), par contre c’était plutôt de la musique d’Afrique du nord. La musique turque c’est un peu différent (bon déjà les turcs c’est pas des arabes). J’ai énormément écouté de musique, en isolant les rythmiques, les mélodies, et j’ai fini par jouer par-dessus ce qui m’inspirait… 

 

 

 

 

... Tu reviens d’un an à Londres… t’es parti pourquoi ?

 

J’avais signé sur un label là bas… mais bon… en fait j’en avais marre de Paris… (c’est bête de dire ça maintenant que suis revenu) C’est parti d’une sorte de frustration. A Paris j’avais pas le sentiment d’être pris au sérieux. J’étais souvent pris comme une caution. Comme le mec qu’on invite à jouer en première partie parce qu’il fait des trucs différents, comme si c’était une faveur. Alors que j’avais pas besoin de faveur ! Je jouais déjà régulièrement l’étranger : Angleterre, Allemagne, en Europe de l’Est, en Espagne, dans les gros festivals. Il n’y avait qu’en France que ça se passait comme ça…. je sais pas, c’est comme si le fait d’être français en France te plaçait automatiquement en dessous d’un américain ou d’un anglais, alors que ma musique passait déjà sur la BBC et BBC 1. Forcément tu cherches l’erreur. Ajouté au fait que je ne faisais pas partie d’une scène, d’un groupe, et que le copinage c’est pas trop mon truc, j’ai finis par en avoir un peu marre. Donc, puisque ça marchait à Londres, je suis parti. Maintenant, j’ai passé cette frustration donc j’ai pu revenir…

 

T’as vu une vraie différence avec Paris là bas ?

 

Typiquement tu rencontres quelqu’un, mettons, dans un bar. Tu vas te retrouver à parler avec lui de tout et n’importe quoi, tu passes un bon moment. Puis quelqu’un vient te dire « au fait, le mec avec qui tu parlais c’est un tel », une pointure dans le milieu, une figure de telle scène. Et là tu comprends que les gens ne se trimbalent pas avec leur carte de visite collée sur le front, comme ils ont tendance à le faire à Paris où il faut tout le temps se vendre. Des egos normaux, des rapports sociaux beaucoup plus simples, ça fait du bien.

 

 

extrait :
Jamie Woon, Lady Luck - DéBruit Suave Remix (Candent Song, 2011)

 

 

 

 

... Sinon t’as voyagé un peu à droite à gauche ?

 

Beaucoup, mais surtout pour les concerts. J’ai joué dans tous les pays d’Europe à part peut-être l’Albanie. La dernière fois que j’ai voyagé pour moi c’était pour aller en Turquie… Je précise parce que voyager pour des concerts c’est particulier. T’arrives et tu repars tout de suite. Parfois t’as rien vu. Avant je demandais à venir un jour avant rester un jour après le concert pour avoir le temps de visiter la ville. Le problème c’est que rapidement tu passes ta vie entre deux avions. Tu ne te retrouves plus jamais chez toi. Tu sais plus ou t’habites, tu perds tes repères, parce que t’es tout le temps seul aussi.. t’as personne avec qui partager la découverte d’un pays…

 

à ma connaissance t’es le seul à produire ce genre de sons très ouverts sur les musiques du monde…

 

C’est une orientation musicale à laquelle je pensais dès mes premiers disques. Mais quand j’écoutais d’autres artistes qui avaient mélangé des sons « world » avec des rythmiques modernes je trouvais ça forcé… limite plagié sur l’original. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je ne fasse pas ça… Qu’il fallait que je comprenne vraiment ces musiques. C’est pour ça que j’écoute beaucoup avant de commencer quoi que ce soit. Après, tu fais ce que tu veux puisqu’une fois que t’as compris tu peux te libérer, et tu peux aussi éviter des clichés. Par exemple, les rythmiques d’Afrique de l’Ouest. Tu ne pourras jamais en jouer comme un mec de là bas. Donc le mieux c’est juste d’essayer de les comprendre, puis de faire quelque chose de vraiment différent. « Je fais des rythmiques africaines mieux que les africains » ? Ca, c’est pas possible.

 

Une inspiration musicale majeure ?

 

Je ne pense que ma plus grosse influence en termes de musique ce serait Serge Gainsbourg. Ce mec a révolutionné la chanson.. il avait déjà des rythmiques africaines en 1964, et il en faisait des morceaux de pop française ! « New York USA », « Couleur Café » et d’autres… Gainsbourg avait aussi un grand respect pour les originaux, la musique qu’il utilisait. Il recherchait vraiment les meilleurs artistes. Il veut faire un album de dub ? Il prend Sly & Robbie. Personne ne connaissait a l’époque, personne n’écoutait de reggae ou alors c’était Bob Marley… on après le personnage Gainsbourg est un peu trouble mais bon, il a vraiment compté pour moi…

 

extrait :
Serge Gainsbourg, New York USA (Gainsbourg Percussions, Philips, 1964)

 

 

 

 

... Et dans ce qui ce fait maintenant? Dans le mainstream ?

 

En fait je n’écoute pas beaucoup de musique de maintenant. Pas que j’aime pas, mais j’essaie surtout de découvrir des trucs anciens.. Il a pas mal de trucs que j’aime bien mais après peut être pas de la à les citer comme musique dont je ne pourrais pas me passer …

 

... t'es pas le premier à dire ça… à faire de la musique hyper-actuelle, sans en écouter, ou quasiment jamais ! Comme les gens en écouteraient à la radio…

 

C’est vraiment pas un choix de en pas en écouter attention ! C’est pas que je ne l’aimerai pas, c’est juste je sais pas vraiment où chercher. Par contre j’aime bien quand des gens que je connais me conseillent d’écouter tel ou tel truc à la radio, là ça m’intéresse. Après il y a aussi le fait que si t’écoutes des trucs d’aujourd’hui, tu vas faire de la musique d’aujourd’hui. Tu rentres peut être même sans le vouloir dans un truc qui est déjà en train d’être fait. J’ai peut être un peu peur de ça aussi d’être trop influencé par ce qui se fait en ce moment si j’en écoute trop. J’essaie de rester un peu en avance, ou un peu ailleurs. J’aime bien découvrir des trucs qui se sont fait il y a longtemps et qui sont comme les racines d’un mouvement. Dans une musique en train de se créer, il y a une toujours une énergie particulière …

 

 

extrait:

DéBruit, K.O Debout (Spatio-Temporet, Civil Music, 2009)

 

 

 

 

 

... Dans tout ça on n’a pas évoqué les Etats-Unis..

 

Bah… j’ai joué a Boston, à Austin, je suis passé par New-York. J’ai fait une tournée au Canada aussi. Les US, je devrais y retourner mais j’ai eu un peu de mal la première fois. C’était un peu un choc culturel. Tout est fléché, indiqué à l’avance. J’ai vraiment envie de jouer à New-York. New-York m’a fait une bonne impression, le reste j’étais un peu perdu…


Tes projets ?

 

Les dates avec le groupe en juin. Mon album, principalement, sur lequel je suis en train de travailler.
Voyager… tiens j’ai peut être un plan pour aller jouer en Jordanie. Le mec est fan. Il veut m’inviter. Peut-être même pour passer un petit moment là-bas, faire des échanges avec des musiciens. Sinon l’Afrique de l’Ouest, pour l’album justement.

 

Ah ouais ?

 

Ouais. En fait j’ai envie de tout composer avant, et d’aller là bas pour faire jouer ces mélodies… mais des mélodies pas du tout africaines justement ! Des mélodies funk, West-Coast, mais joués avec des instruments traditionnels africains, par des mecs qui savent en jouer. Imagine « California love » de Tupac joué par des musiciens traditionnels africains, bah c’est l’idée, mais avec mes morceaux. C’est aussi faire l’inverse de ce qu’on fait d’habitude dans nos musiques, à savoir se pointer là-bas, enregistrer les musiciens faire leur truc, et repartir en disant merci, salut.

 

 

extrait :
DéBruit, Congo Whoomp (Clé de Bras EP, Musique Large)

 

 

 

 

 

 

Tu as sorti tes premiers disques sur le label en pointe du mouvement beats en France, « Musique Large »… tu as fais partie des fondateurs ? Comment ça s’est organisé ?
 

En fait c’est un DJ, Rekick, qui a fondé le label… très vite, un ami à lui, Fulgeance, qui est producteur s’est rajouté dessus. Puis moi. A l’époque on a lancé le label a trois, comme ça. Une sortie Fulgeance, une sortie moi, une Fulgeance, une moi… Fulgeance et moi on se gérait nous même donc se faire avancer, c’était faire avancer le label… Maintenant depuis que je suis engagé avec le label londonnien Civl s’est plus difficile bien sûr, mais je ne désespère pas retravailler avec Musique Large plus tard. C’est la famille, c’est un truc de passionné, qui continue à sortir du vinyle. C’est pas pour l’argent c’est une passion…

 

 

 

 

... C’est quoi le truc dont tu es le plus fier dans ta vie ?

 

Le plus fier ? …. d’un point de personnel tu veux dire ? …. …. Peut être de pas avoir abandonné … J’aurais pu abandonner il y a bien longtemps déjà. Je vis de la musique depuis pas longtemps en réalité. Avant c’était petits boulots obligatoires, mais dans lesquels j’avais pas à m’investir personnellement ni intellectuellement, pour réserver mon énergie à la musique. Je suis fier d’y être arrivé sans avoir forcé le truc, en prenant mon temps. Pas de plan marketing, pas d’argent à investir dans une exposition pas méritée. De toute façon même si ça marchait pas je continuerai à faire de la musique, parce que c’est ce qui me plait et voilà… ouais…. fier de pas avoir abandonné…

 


Merci.

 

Merci à toi.

 

///

 

DéBruit

site officiel : http://www.debruit.com/

écouter :  http://soundcloud.com/debruit

acheter : http://bleep.com/index.php?page=artist_details&artistid=10711
 

 

interview by Fly B

http://soundcloud.com/flyb

 

Comments or opinions expressed on this blog are those of the individual contributors only, and do not necessarily represent the views of FRANCE 24. The content on this blog is provided on an "as-is" basis. FRANCE 24 is not liable for any damages whatsoever arising out of the content or use of this blog.
1 Comments
Yo, that's what's up truhftully.

Poster un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ ne sera pas montré publiquement.
  • Aucune balise HTML autorisée

Plus d'informations sur les options de formatage

CAPTCHA
Cette question vous est posée pour vérifier si vous êtes un humain et non un robot et ainsi prévenir le spam automatique.