Pour une démocratisation (sans restriction) du "Big Data"

Par Julien Le Bot


Le moins qu’on puisse dire, c’est que le paysage (numérique) bouge. Très vite. Chaque jour, une nouvelle idée, de nouveaux jeux de données, des informations en temps réel et des capteurs qui, si vous les interrogez bien, peuvent vous dire pas mal de choses. Au fond, nous sommes au seuil d’un monde dont nous ne savons rien.

 

Devant le flux (en progression algorithmique) de données disponibles dans l’espace public, comment ne pas s’interroger sur les enjeux qui, de facto, se posent pour qui veut partager ces informations ? A quelques jours du bouclage des candidatures pour le premier concours Dataconnexions (dont on connaît le jury depuis quelques heures), réflexion(s) glanée(s) au fil d’une lecture portant sur la « Démocratisation du Big Data ».

 

 

La revue de web postée régulièrement par le journaliste Hubert Guillaud sur Internet Actu (incontournable publication de la Fing) est un bel outil de veille. Notamment sur la question des données, des usages sociaux qu’elle implique, des industries qui s’en emparent, et des enjeux de pouvoir qui peuvent les accompagner.


A cet égard, à l’heure où chacun commentait l’acquisition d’un « milliard dollar baby » (Instagram passant entre les mains de Facebook), Internet Actu renvoyait sur son site vers un article posté en février  2012 par Robert Goodspeed, étudiant au MIT spécialisé dans les questions d’urbanisme et de participation démocratique, intitulé « The Democratization of Big Data ».


Son approche est, peu ou prou, la suivante : de plus en plus de villes, de par le monde, utilisent ces fameuses « big data » pour construire (ou plutôt pour co-construire) leurs grands projets urbains. Au fond, l’enjeu est le suivant : toutes ces données peuvent permettre, quand on sait les exploiter (c’est-à-dire les faire « parler »), de générer de nouvelles informations susceptibles d’éclairer autrement les décisions (publiques, en l’occurrence). Que l’on suive en direct les mouvements de foule dans les transports publics ou que l’on découvre les chemins arpentés par les promeneurs (à l’écart des prévisions initiales des urbanistes), ces données ouvrent régulièrement, pour ceux qui s’en emparent, des informations inattendues et un retour sur expérience qualitativement et quantitativement bien différents des enquêtes de terrain classiques.


Là où quelques notes, quelques fiches, et quelques constations empiriques permettaient d’apprécier globalement des tendances (sur les usages, les habitudes, les limites de la ville), le recours aux data permet de travailler sur la base de faits pour bien mesurer les phénomènes. D’aucuns pourraient dire, selon les points de vue adoptés dans le prolongement de ces notes, qu’il s’agit d’un nouvel élément permettant de soigner les services (publics), ou au contraire de nouveaux dispositifs renforçant les mécanismes de contrôle de la « sphère sociale ».


C’est précisément là où intervient la question de la « démocratisation » chère à Robert Goodspeed : plus il y a de données, plus il existe de spécialistes, plus il faut des compétences (de haute volée le plus souvent), plus il est difficile, pour chacun d’entre nous, d’avoir un regard critique (c’est-à-dire avisé) sur ce qu’on fait, ce que l’on récolte sur notre parcours (et au cours de notre navigation), sur ce que l’on dit, ce que l’on nous propose à partir des interprétations desdites données (qui peuvent tout à la fois concerner les foules et des éléments personnels). A la limite, les journalistes eux-mêmes, dont la fonction traditionnelle de « vigie » permet régulièrement de débusquer quelque(s) dysfonctionnement(s) dans le jeu démocratique traditionnel (corruption, clientélisme, conflits d’intérêts,…), risquent d’être dépassés par ces (brassées continues de) données dont la caractéristique principale est bien souvent d’être inintelligible en soi. Il faut pouvoir les retravailler, les croiser, analyser les dispositifs de productions, de traitement statistiques, bref : il est nécessaire de disposer de compétences techniques et/ou technologiques qui, quoi qu’on en pense, sont plus que rarement cultivées dans les écoles de journalisme et dans les rédactions.    


Pour mémoire, si Robert Goodspeed évoque bien cette question à partir du concept de « Big Data », c’est pour inciter les producteurs de données (qui se multiplient chaque jour), mais aussi ceux qui souhaitent les utiliser à des fins commerciales, politiques ou journalistiques, à construire des dispositifs et des outils permettant de connaître et de comprendre les traitements infligées aux données auxquelles ils peuvent recourir. Au fond, on peut penser à la phrase célèbre de Clémenceau au sujet de la guerre : « C’est une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires ».  En un certain sens, le combat doit être le même : nous ne pouvons laisser les spécialistes nous dire ce que l’on doit fabriquer à partir des « data ».


La révolution numérique (pour faire dans le grandiloquent) a été jusqu’à présent un levier de démocratie (locale par exemple), un retour à l’ère de la conversation, un facteur d’horizontalité et un horizon de participation pour les internautes. Il est donc urgent de réfléchir aux modalités de démocratisation du « big data ». Pour que les internautes gardent la main sur le devenir des usages, des outils, des informations.       

               
Credit : @Ursonate (Licence Creative Commons)

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