Les clés pour comprendre le conflit minier qui oppose la SAG à la communauté de Kintinian (2ème partie)

Une famille à Area OneLes populations de Kintinian et de Siguiri en général sont toujours dans l’impasse. La première partie de ce dossier a été sacrée à la genèse du conflit qui oppose ce village à la Société Aurifère de Guinée (SAG). Le gouvernement devant faire respecter les engagements de l’État guinéen vis à vis de ses partenaires miniers a engagé un bras de fer avec Kintinian. Une portion de terre appelée Area One et qui comprend une partie bâtie du village est la pomme de discorde.

Dans cette deuxième partie, vous comprendrez la suite des événements qui ont ravivé les tensions à Kintinian jusqu'à paralyser toutes les activités d’orpaillage dans les autres villages de la préfecture de Siguiri. Le problème s'est ensuite transformé en une opération musclée d’expulsion d’orpailleurs étrangers vers leurs pays d’origine. Dans ce cafouillage -comme à l’accoutumée- il y a eu des abus, des brigandages commis par certains éléments des forces de l'ordre. Mais avant d’y arriver que s'est-il passé?

La déclaration belliqueuse du Ministre Bouréma Condé à Kintinian 

Pour mettre fin à la cacophonie, le Ministre de l'Administration du Territoire, le Général Bouréma Condé, a effectué une mission à Siguiri du 7 au 11 novembre 2015. Il a convoqué un meeting qui a regroupé les notables de Kintinian, les imams, les jeunes et les femmes pour débattre d’Area one. Durant de longues heures de discussion, le village a soutenu que la portion de terre qu'ils ont promis au Chef de l'État lors de sa visite est différente d’Area One. Pour clore le débat, le ministre a demandé au doyen du village de bien vouloir se retirer pour aller s'entretenir avec ses fils pour lui donner la position définitive de Kintinian. La discussion a été finalement renvoyée au 8 novembre. Le jour J, la réponse du village a été catégorique et décevante. Ils réaffirment une fois de plus  qu’Area n'est pas négociable.

Dans la lettre de compte rendu de mission - datant du 12 novembre- adressée par le Ministre Bouréma au Président de la République, il résume, lui-même, sa réplique en ces termes: “...je suis sorti de ma réserve en développant le concept de l’État… Ma conclusion fut donc sans appel: c'est une grande faute de votre côté, gens de Kintinian que de clamer: Nous avons donné telle zone, nous n'avons pas donné telle autre. Vous n'avez rien à donner ou retirer à l'État, c'est à l'État de vous donner ou de vous retirer. Nous allons assainir la zone minière, particulièrement celle de Kintinian. Autant le Chef de l'État est intraitable sur le respect de vos droits de citoyens guinéens, autant il ne toléra la moindre velléité de trouble à l'ordre public et d’atteinte à la souveraineté de l'État Guinéen”.

Et sur le champ, poursuivant son discours, le Général a annoncé une série de décisions qu’il allait prendre: “Tous les engins d’exploitation anarchique dans le périmètre de la SAG doivent être dégagés. Une imposante mission des forces de défense et de sécurité doit intervenir dans les plus brefs délais pour épurer la zone où pullulent, non pas seulement des guinéens mais aussi bien des maliens, des sénégalais, des burkinabés qu’ivoiriens”.

Ce ton martial a choqué le village. Un notable m’a confié: “Bouréma Condé est venu nous menacer. Il s’est vanté de la répression qu’il a exercé sur la population de la zone diamantifère de Banankoro pendant qu’il y était sous-préfet au temps du Président Lansana Conté. Tout le monde sait que tout Siguiri était farouchement opposé au pouvoir de Conté. Il faut reconnaître qu’en dépit de cette position tranchée, Conté n’a jamais accepté que nos villages soient cassés au profit de la SAG. Il y a eu des tentatives mais il a clairement ordonné de ne pas nous déposséder de nos terres... Alpha que nous avons toujours soutenu encourage Bouréma à nous chasser, par la force..! Nous n’avons pas construit nos habitations pour les vendre”.

En réaction à l’argument du Ministre tiré de la constitution Guinéenne qui dispose que les ressources du sol et du sous-sol appartiennent à l'État, un autre vieillard y oppose un adage du Manding. “Nous le savons et nous sommes d’accord avec “Bourama”. Aussi, il ne doit pas ignorer que chez nous, nous déclarons que l'esclave appartient à son maître mais quant à sa bandoulière, celle-ci n’appartient pas à son maître. La bandoulière de l'esclave est belle et bien la propriété de l'esclave”, insiste t-il. 
Kintinian et le Général Bouréma se sont séparés à queue de poisson. Il ne tardera pas à mettre ses menaces à exécution.

La chasse aux orpailleurs illégaux

 Exploitation semi-industrielle à KintinianLe 21 novembre 2015, le gouverneur de la région de Kankan a pris un acte ordonnant aux services de défense et de sécurité de déguerpir tous les orpailleurs illégaux d’origine étrangère. Les sous-préfectures de Kintinian et de Doko (vers la frontière avec le Mali) étaient dans la ligne de mire.

C’est ainsi qu’une mission mixte de 210 hommes composée de gendarmes et de policiers est arrivée à Kintinian le 24 novembre. Ils ont patrouillé dans les mines où ils ont raflé des camions, des bulldozers et des excavateurs qui travaillaient pour le compte des particuliers. Les jours suivants, la même opération s'est poursuivie dans les villages de la sous-préfecture de Doko. La rafle concernait surtout des milliers orpailleurs étrangers qui ont été expulsés vers la République du Mali. Un groupe d’orpailleurs clandestins de nationalité russe a été également arrêté. Selon les services de sécurité, M. Igor Yudin est le chef de ces exploitants illégaux. Ce dernier aurait même recruté des jeunes Guinéens qui creusent de véritables galeries souterraines à la recherche du précieux métal.

Le constat personnel que j'ai fait à Kintinian confirme donc le communiqué du gouvernement qui faisait état d’une “exploitation mécanisée, illégale de grande envergure”. Mais en vérité, les populations de Kintinian et de Doko n’y sont pour rien. Ces exploitants illégaux bien organisés opèrent dans les préfectures de Siguiri, Mandiana et Kouroussa depuis plusieurs années. Le gouvernement ne s’est jamais soucié de l’anarchie totale qui caractérise le secteur de l’orpaillage dans le pays.

Choqué par l’inaction et la faiblesse de l’État face aux nombreuses conséquences désastreuses de l’orpaillage, j'ai invité France24 en 2013 pour y consacrer un magazine. Malheureusement, la vie des communautés reste fortement menacée et l’environnement complètement dévasté. Pire, les produits chimiques hautement toxiques tels le mercure et le cyanure sont couramment utilisés par les orpailleurs! Ce n’est pas du tout caché. Le gouvernement et les autorités locales le savent très bien. Curieusement, il a fallu attendre que les intérêts de la SAG soient menacés pour qu’un semblant de lutte soit engagé. Hélas! La vie des populations, l’avenir des futures générations et l’environnement importent peu...

Abus et brigandages commis par les forces de l'ordre

 Une école située dans Area OneSira Bérété, une élève de la 9ème année, est  une des victimes de l’intervention des forces de l'ordre à Kintinian. Elle est sans doute la plus souffrante. Doussou Camara, la maman de la fillette explique: “Quand ma fille est sortie de l'école, elle est allée assister sa tante qui est vendeuse au marché. C'est sur le chemin du retour qu'elle a reçu la balle au niveau de son cou. Nous l'avons transportée d'urgence à l’hôpital de Siguiri. Sa vie n’est plus en danger mais nous sommes très inquiets car elle n'arrive toujours pas à mouvoir son bras droit. Sacko Bérété, son père, pense également que le bras de sa fille risque une paralysie.

Cette bavure est intervenue le 06 décembre. Elle s'ajoute au  cas d’un garçon qui avait également été blessé à la figure par une balle perdue le 30 octobre 2015.
 Il est important de préciser que la réquisition des forces de l'ordre par le gouverneur de Kankan précisait que l'opération doit se faire “sans utilisation d’armes”. Pourquoi cet ordre n'a pas été respecté?

 Le 24 novembre 2015, un autre malheur a frappé à la porte de Kabinet Keita. Cet enseignant de profession et sa famille ont été agressés dans leur propre maison. Il témoigne “les amis et moi étions assis devant notre maison entrain de causer. Soudain, nous avons vu les gens qui couraient vers nous. Ils étaient poursuivis par un groupe de gendarmes. Je me suis précité pour rentrer dans ma maison avec ma femme et j'ai fermé la porte. Les gendarmes sont venus défoncé ma porte pendant que nous étions à l'intérieur. Ils nous ont violenté. Un agent m’a giflé. Ma femme a également reçu un coup de poing au niveau de son épaule.Ensuite, ils ont fouillé ma chambre. Je venais de contracter un prêt de 5.200.000 milles gnf à la banque. Ils ont emporté tout le montant ainsi que le téléphone de ma femme. Quand il a été demandé aux victimes de se signaler, j'ai écrit pour saisir le maire mais jusqu'à présent rien n’a été fait pour me dédommager”.

 Aussi, plusieurs autres agents ont profité de la situation pour dépouiller les orpailleurs. La hiérarchie militaire qui conduisait les différentes missions, dite “de nettoyage des périmètres de la SAG”, reconnaît le mauvais comportements de 8 gendarmes et de 3 policiers. Ils ont dépouillés les orpailleurs de leur or et de leur argent. Les fautifs avaient été mis aux arrêts, mais seront-ils jugés ??

 La vie devient de plus difficile à Siguiri

Depuis des siècles, la plupart des villages de la préfecture de Siguiri notamment ceux de Bouré ne vivent que de l’orpaillage. Aujourd'hui, les populations n’entreprennent aucune autre activité sinon que creuser la terre à la recherche du métal jaune pour nourrir leur famille. Les activités étant paralysées en ce moment, la crise commence à se faire sentir. Si le problème perdure, une bonne partie du pays sera affectée. Cela pourrait sans doute engendrer d’autres crises sociales aux conséquences fâcheuses. Voilà pourquoi cette situation préoccupe les acteurs de la société civile à savoir le Réseau National des Communicateurs Traditionnels (RENACOT), la PCUD et bien-sûr ABLOGUI dont je suis le président.

La dernière partie de ce dossier sera donc consacrée au travail de ces sapeurs-pompiers.

 
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